Notre tour de main

L'inspiration éducative de la Congrégation Notre-Dame

Le tour de main ?
C'est cette manière de travailler la pâte qui, en y ajoutant quelques pincées de levure, donne à chaque pain sa saveur unique.

Ce que l'on enseigne dans un établissement sous Tutelle de la Congrégation Notre-Dame et dans un établissement public n'est pas différent ; et la manière dont on procède est comparable à ce qui se vit dans un autre établissement de l'enseignement catholique.

Définir ce qui nous est propre, ce n'est donc pas nous comparer aux autres dans nos pratiques pédagogiques, éducatives et pastorales mais nous référer à notre source : Pierre Fourier et Alix Le Clerc, qui ont donné naissance à «un tour de main».

Travailler dans un établissement sous Tutelle de la Congrégation Notre-Dame,
c’est d’abord entrer dans une histoire ;
c’est aussi vivre une inspiration ;
c’est enfin faire communauté autour d’un projet éducatif,
pour répondre à la vocation de chaque être humain.



1 - Entrer dans une histoire

Pierre Fourier (1565-1640), fondateur avec Alix Le Clerc (1576-1622) de la Congrégation Notre-Dame, est né à Mirecourt (actuel département des Vosges), dans le duché de Lorraine, alors indépendant.
Il fait de brillantes et solides études au collège, puis à l'université de Pont-à-Mousson, récemment fondée par les Jésuites. Il y reçoit une formation humaniste et théologique, au cours de laquelle il acquiert une profonde vie spirituelle et un regard optimiste sur l'homme.

En 1585, il entre chez les Chanoines réguliers de Saint-Augustin, choisissant ainsi une forme de vie religieuse qui permet une large action apostolique et pastorale.

En 1597, il devient curé de Mattaincourt, un gros bourg des Vosges.
L'époque où va se développer son action est un temps de profondes mutations sociales, intellectuelles, politiques et religieuses, une période bouillonnante d'idées nouvelles.
La société est profondément inégalitaire, inégalité fondée sur la naissance, plus encore que sur la richesse. Le pouvoir est totalement patriarcal, dans la famille comme dans l'État : la femme, assimilée à un enfant mineur, n'a aucune place dans la société ; elle est elle-même l'objet de la méfiance de l'Église qui la considère comme un être faible et dangereux, tentatrice par nature.
Cette société est imprégnée de foi, et la religion a une emprise considérable sur la vie sociale et les comportements, mais cela s'accompagne aussi de beaucoup de superstition dans toutes les couches sociales.
Enfin, c'est une société marquée par la violence, dans l'expression des sentiments et la brutalité des moeurs : la vie humaine ne compte guère et les misérables sont légion. La guerre de Trente Ans (1618-1648), qui sévit à cette époque, va exacerber ces violences et rendre la situation des pauvres encore plus intolérable.

Quand Pierre Fourier devient curé de Mattaincourt, l'Église commence seulement à mettre en oeuvre la réforme voulue par le concile de Trente, après une longue période de décadence : très nombreux sont encore les abus, ainsi que l'ignorance du clergé et des fidèles.
Pierre Fourier a un regard lucide sur les défauts de la société et de l'Église de son temps et il ne saurait s'en accommoder. Il va s'employer, selon ses moyens, à lutter contre les abus et les injustices de la société, en même temps qu'à rétablir, dans sa paroisse et partout où va s'étendre son influence, une authentique vie chrétienne. Pour lui, en effet, le renouveau pastoral va de pair avec l'amélioration de la condition sociale. Dans ce contexte, une question le préoccupe particulièrement, celle de l'instruction et de l'éducation des enfants, notamment des filles des milieux populaires, tout à fait délaissées à cette époque. Il est persuadé, en effet, que l'éducation chrétienne et l'instruction des filles, tout en les aidant « à vivre et à bien vivre1 », peuvent et doivent conduire à une réelle transformation des familles et de la société tout entière. Or, en 1597, une jeune paroissienne de Mattaincourt, Alix Le Clerc, vient trouver Pierre Fourier pour lui confier son désir de se donner à Dieu et de «faire une nouvelle maison de filles [une nouvelle congrégation de religieuses], pour y pratiquer tout le bien que l'on pourrait ».
De la volonté de rénovation sociale de Pierre et de l'intuition d'Alix va naître, en 1597, la Congrégation Notre-Dame, vouée à l'enseignement et à l'éducation des filles, dans des écoles ouvertes à toutes où l'on mènera de front éducation chrétienne et formation humaine.
Ainsi, en répondant à un besoin prioritaire du temps, l'éducation des filles, la Congrégation va travailler à la promotion de la femme en vue d'une transformation de la société.
En 1598, la première école voit le jour en Lorraine. Elle sera suivie de nombreuses autres, en France et en Europe et, plus tard, sur d'autres continents.



2 - Vivre une inspiration

Quand Pierre Fourier devient curé de Mattaincourt, l'Église commence seulement à mettre en œuvre la réforme voulue par le concile de Trente, après une longue période de décadence : très nombreux sont encore les abus, ainsi que l'ignorance du clergé et des fidèles.
Pierre Fourier a un regard lucide sur les défauts de la société et de l'Église de son temps et il ne saurait s'en accommoder. Il va s'employer, selon ses moyens, à lutter contre les abus et les injustices de la société, en même temps qu'à rétablir, dans sa paroisse et partout où va s'étendre son influence, une authentique vie chrétienne. Pour lui, en effet, le renouveau pastoral va de pair avec l'amélioration de la condition sociale.
Dans ce contexte, une question le préoccupe particulièrement, celle de l'instruction et de l'éducation des enfants, notamment des filles des milieux populaires, tout à fait délaissées à cette époque. Il est persuadé, en effet, que l'éducation chrétienne et l'instruction des filles, tout en les aidant « à vivre et à bien vivre1 », peuvent et doivent conduire à une réelle transformation des familles et de la société tout entière.



Or, en 1597, une jeune paroissienne de Mattaincourt, Alix Le Clerc, vient trouver Pierre Fourier pour lui confier son désir de se donner à Dieu et de «faire une nouvelle maison de filles [une nouvelle congrégation de religieuses], pour y pratiquer tout le bien que l'on pourrait».
De la volonté de rénovation sociale de Pierre et de l'intuition d'Alix va naître, en 1597, la Congrégation Notre-Dame, vouée à l'enseignement et à l'éducation des filles, dans des écoles ouvertes à toutes où l'on mènera de front éducation chrétienne et formation humaine.
Ainsi, en répondant à un besoin prioritaire du temps, l'éducation des filles, la Congrégation va travailler à la promotion de la femme en vue d'une transformation de la société.
En 1598, la première école voit le jour en Lorraine. Elle sera suivie de nombreuses autres, en France et en Europe et, plus tard, sur d'autres continents.
n fondateur n'est pas tant un modèle à imiter qu'une source à laquelle on peut puiser pour vivre, « et bien vivre » aujourd'hui.
Vivre de son inspiration, ce n'est donc pas se demander ce qu'il ferait à notre place mais comprendre ce qui l'a animé, et donner corps aujourd'hui à cette « âme ». Nous inscrivons ainsi notre propre récit dans une histoire commencée il y a plus de 400 ans. Quelle est la vision éducative de Pierre Fourier ?
Éduquer - faire grandir - c'est viser la vocation de l'être humain.
Cela commence par l'apprentissage d'un langage, d'une écriture, d'une culture, jusqu'à ce que celle-ci devienne une compétence et, progressivement, une orientation professionnelle, autant qu'un développement personnel qui lui permettront de dire une parole - sa parole - à la fois unique et pour les autres.
« Les jeunes écolières, quoique petites d'âge, ne sont pas pourtant une petite ou vile portion de l'Église de Dieu. Déjà dès maintenant, et dans peu d'années, [elles] pourront être capables de faire de grands biens. Au sujet de quoi, il est très expédient, voire tout nécessaire, pour le bien d'elles-mêmes et de leurs pères et mères, et des familles qu'elles gouverneront avec le temps, et de la république [de la nation], qu'elles soient de bonne heure bien dressées [formées], et soigneusement instruites en la crainte de Dieu, et quant et quant [et de plus], s'il est possible, en quelques autres choses qui les puissent aider à vivre et à bien vivre.»


Cela passe par la révélation : Dieu nous confie le monde pour que nous devenions co-créateurs avec Lui de son visage d'humanité. Révélation qui est au fond une promesse : « Tu aimeras ».
Pierre Fourier fonde la Congrégation Notre-Dame sur une « spiritualité » : celle de l'Incarnation. Celle-ci inspire la règle de vie des sœurs qui pourrait se résumer dans cette injonction : « Suivre le Christ visiblement conversant en ce monde4 », c'est-à-dire, commente Paule Sagot, « vivant avec les hommes et les femmes de son temps, de son pays, lorsqu'il parcourait avec ses apôtres les routes de Palestine. Le suivre partout où il ira, c'est marcher avec lui sur les routes, livré à l'imprévisible de la rencontre, à l'inattendu des événements5.»
« Spiritualité de la route » qui invite à le suivre dans sa vie publique et affirme la vocation apostolique de la Congrégation Notre-Dame.
De façon significative, Pierre Fourier enracine cette spiritualité dans l'Évangile des noces de Cana (Jn 2, 1-11) : premier geste de la vie publique du Christ chez saint Jean, et texte fondateur de la Congrégation Notre-Dame par cette parole de Marie aux serviteurs : « Faites tout ce qu'il vous dira ». La Congrégation commence donc par une noce, une fête avec du vin ! Parce que le compagnonnage avec le Christ est une noce... jusqu'à ce que se réalise la parabole du festin des noces du Royaume où l'humanité toute entière sera rassemblée autour de son Seigneur qui la servira (Lc 12, 37), parce qu'il n'y aura plus en elle de refus d'aimer.
L’éducation est un regard qui va jusque là.
« Ne pas considérer les personnes comme elles devraient être mais comme elles sont ou peuvent être. » Ce regard s'enracine dans la parole de Dieu et sa fréquentation familière. c'est parce que des générations de sœurs de Notre-Dame ont été rencontrées, façonnées, habitées par cette parole dans leur quotidien qu'elles ont peu à peu découvert et porté ce regard sur tous ceux qu'elles rencontraient, jeunes et adultes, « tant pauvres que riches ».
Aujourd'hui, cette inspiration éducative n'est pas l'exclusivité des sœurs. Chaque éducateur est invité à puiser à la source de Pierre Fourier et d'Alix Le Clerc pour redécouvrir sa responsabilité propre.



3 - Faire communauté

A - Être enseignant en faisant communauté

faire communaute

L'éducation doit prendre les moyens qui correspondent à sa nature interactive : le maître, apprend en même temps que l'élève. Elle suppose de faire communauté, par principe, pour grandir ensemble.
Il n'est pas indifférent que Pierre Fourier ait rassemblé les « maîtresses d'école » en congrégation religieuse : il voulait confier l'enseignement d'un grand nombre de jeunes écolières « à des autres filles bien vivantes, [vivant bien] et en nombre, et en capacité, suffisante pour s'en bien acquitter, et qui demeurent ensemble et n'aient point d'autres affaires à démêler, propres à les distraire ou à les empêcher7 ».
C'est ainsi qu'Alix Le Clerc trouve quatre compagnes - Gante André, Isabeau de Louvroir, Claude Chauvenel, Jeanne de Louvroir - pour commencer la Congrégation et ouvrir la première école.



La communauté permet d'assumer une présence éducative, dans la durée ; elle est aussi le lieu réel de la communication, du discernement et de l'encouragement ; elle est enfin la garante du projet éducatif avec la personne qui en a la responsabilité finale8.
Celle-ci a pour mission principale « de maintenir et faire accroître le zèle d'enseigner9» et de veiller à ce que les éducateurs soient « des exemplaires vivants sur lesquels leurs petites disciples puissent d'heure à autre prendre patron... pour s'en ressouvenir et s'en servir durant toute leur vie10. »
À charge pour elle de les choisir en fonction du projet commun et des relations interpersonnelles qu'il induit : « Elles se porteront toujours les unes aux autres tout honneur et respect, chacune prenant garde de ne rien dire et ne rien faire qui puisse contrister sa compagne ou donner occasion de la moins estimer11 » ; de les instruire de telle façon qu'« elles cherchent le profit et l'avancement de leurs écolières » et qu'« en voyant faire sa maîtresse l'enfant acquière le savoir qu'elle lui montre. »
Partage d'expériences pédagogiques, conférences pédagogiques, stages pédagogiques, sont autant de formations nécessaires que la communauté peut et doit assurer.
« Elles s'entretiendront souvent dans les conférences des moyens les plus propres pour faire avancer les enfants ... Elles pourront conférer sur ce qu'elles croient pouvoir contribuer davantage à l'instruction des enfants12. »
Le propre de la méthode est d'évoluer : « Les maîtresses s'en serviront [de la méthode donnée par Fourier] comme par provision [provisoirement] jusques à ce qu'elles en aient trouvé une autre qui soit notoirement plus propre et plus utile, et bien approuvée par tous leurs monastères13. »
Aujourd'hui, la communauté éducative déborde la communauté religieuse de la Congrégation : chaque éducateur est en réalité associé à la mission de la Congrégation.


B - Former une communauté qui éduque

Centré sur le besoin de l'enfant, le projet éducatif vise son instruction, c'est-à-dire, dans la langue du XVIIe siècle, sa « construction » : il ne s'agit pas seulement de transmettre un savoir mais aussi de construire une personnalité. Cela passe par :

1 - La posture de l’adulte :
Dans la relation éducative, l’adulte a de fait une place d’aîné qu ’il ne peut déserter : chaque vie a besoin de s’adosser à d’autres pour se construire.
2 - L'accueil de l'élève :
« Lorsqu'une fille se présentera, soit qu'elle vienne seule étant déjà grandelette, soit que sa mère l'accompagne (ce qui serait le plus céant et le plus désirable), ou bien quelque autre de ses appartenants, la Mère intendante, après avoir pris permission de la Mère supérieure, ira trouver la fille au parloir, et l'ayant ouïe, et vue, et bien considérée, et prudemment remarqué s'il n'y a point en elle quelqu'un de ces empêchements, ou autre équivalent, si elle n’y en trouve point, si d’aventure elle ne la connaît, elle lui demandera en son nom, et ceux de ses père et mère, le lieu de leur résidence comme aussi de la sienne, au cas qu'elle ne demeure avec eux.
Lui demandera si elle est prête de bien étudier, et de venir tous les jours en classes aux heures ordonnées, et y être modeste, et s'y tenir durant tout le temps des leçons et y garder au reste les règles de l'école.
Lui demandera aussi ce qu'elle prétend et désire d'apprendre. Elle écrira dans un gros livre, préparé tout exprès à cet effet, le nom de la fille, le nom et surnom de son père, l'âge d'icelle [de celle-ci], le lieu de sa demeure, et le jour et l'an de son entrée ès écoles pour la première fois.
Elle avisera en quelle des classes elle devra la mettre et en avertira la maîtresse, et l'y enverra à la leçon prochaine. »
3 - L'apprentissage :
- Qu'il y ait du plaisir à apprendre :
« Celles qui seront censées de la troisième classe, comme aussi celles de la seconde, diront chacune deux leçons le matin, et deux l'après-midi, et on leur fera répéter doucement chacune de ces leçons plusieurs fois, jusques à ce qu'elles la sachent bien, si cela se peut sans les trop ennuyer. Celles de la première et les plus avancées de la seconde, à tous les jours de leçons, prendront de l'orthographe, et du chiffre, et les jets.
On aura soin que non seulement celles de la première et de la seconde apprennent à travailler [à des ouvrages manuels], mais aussi que les petites de la troisième commencent à se mêler tout doucement de quelques menus ouvrages, qui leur soient aisés, légers et agréables. »
- Qu'il y ait du sens à ce que l'on apprend :
« Les maîtresses s'appliqueront surtout à ce que les écolières comprennent ce qu'elles lisent, et que, pour cet effet, elles suivent et distinguent le sens en s'arrêtant aux virgules et aux points. »

- Que les rythmes d'apprentissage soient respectés :
« Pour procéder en tout ceci avec plus d'ordre, de profit et de facilité, toute l'école se divisera en trois classes. En la première, seront les écolières qui lisent ès registres et autres papiers et lettres écrites à la main ; en la deuxième, celles qui apprennent à lire ès livres imprimés, et y sont déjà quelque peu avancées ; en la troisième, les petites abécédaires qui commencent à connaître leurs lettres et à conjoindre les syllabes ensemble, et prononcer les mots. »

- Que l'apprentissage soit personnalisé :
« Afin que les enfants comprennent plus aisément tout cela, et le retiennent mieux, et se rendent plus attentives à la bien écouter, la maîtresse leur répétera plusieurs fois les mêmes choses dans une même leçon. Et de fois à autre parmi son discours s'adressera, tantôt à l'une, tantôt à l'autre, leur demandant ce qu'elle vient de dire. »

4 - Le cadre de vie :
- Que les lieux soient accueillants et esthétiques :
Pierre Fourier disait « qu'il fallait voir la pauvreté reluire dans la maison des sœurs, mais qu'en la librairie [la bibliothèque], en la sacristie et en l'infirmerie, on ne pouvait être trop magnifique. »

- Que la formation vise :
1. la mise en valeur de la personne :
« On tiendra la main qu'elles soient peignées, lavées, et décemment habillées ; et on aura au reste un grand soin de la netteté de leurs têtes de leurs habits, de leur nourriture, de leurs chambres, et de tout ce qui est employé à leur usage. Ce point sera spécialement recommandé à celles qui sont plus âgées, pour l'égard de ce qui dépend d'elles, et qu'elles peuvent faire, et les petites y seront aidées par des religieuses. »

2. l'acquisition de compétences pratiques, utiles pour l'avenir :
« On leur enseignera, doucement et discrètement [avec discernement], certaines petites choses qui pourront par après leur servir, comme à recoudre ou rhabiller quelquefois leurs hardes [vêtements], à les entretenir nettes, à les agencer, et à les resserrer [ranger], et pour l'égard de celles qui le désireront, à faire quelques ouvrages en linge, de ceux qui sont plus nécessaires en une maison, à l'usage des filles, ou autrement utiles à la ménagerie [à la maisonnée]. »
5 - La manière de vivre :
- Que les « écolières » se sentent aimées, comprises et en confiance :
« Si elles se trouvent quelquefois affligées ou en doute de quelque chose, on tâchera de les instruire, de les consoler, de traiter avec elles en ces occasions-là et en toutes autres, en telle sorte qu'elles aient sujet de recourir en toute confiance, et sans crainte, à leurs maîtresses, toutes et quantes fois qu'il sera nécessaire24. »

- Que les « maîtresses » soient douces, patientes, respectueuses :
« Elles ne leur montreront aucun signe de colère, d'impatience et de dédain. Elles ne se dépiteront ou fâcheront contre celles qui auront du mal à apprendre. Elles ne les appelleront ânesses, bêtes, mauvaises filles et ne crieront alentour d'elles25. » - Un conflit se présente-t-il ? Les « maîtresses » sont invitées à l'écoute, au dialogue, et mieux encore...
Voyons cet exemple. « À Pont-à-Mousson, en juin 1611, une cabale gronde au pensionnat. Fourier, inquiet, se renseigne auprès d'une pensionnaire, nommée Marie, qui, exceptionnellement, est sortie de l'internat pour venir à Mattaincourt garder son oncle malade. D'abord, l'enfant n'a rien voulu dire, puis gagnée par la bonté du curé, a consenti à tout raconter. Elle a nommé six ou huit fortes têtes, prêtes à quitter l'école à la Saint-Jean d'été car, disent-elles, la vie n'est plus tenable et les griefs multiples : on les traite trop durement ; deux d'entre elles ont eu le fouet ; Mère Alix ne cesse de houspiller Soeur Marie qui les soutient ; « leurs bonnes mères qui les traitaient plus doucement s'en sont allées », « l'on commence trop de choses nouvelles » et, dernier argument décisif : « l'on ne leur donne plus rien à la marande [au goûter] pour manger avec leur pain ». Attentif aux plaintes des révoltées, Fourier les communique aux soeurs, parce que, leur écrit-il le 12 juin, peut-être « n'entendez-vous rien de tous ces petits murmures qui se composent et démêlent à votre insu, afin qu'avisiez amiablement entre vous s'il y a point quelque chose en ceci digne d'être considéré de plus près pour y mettre bon ordre. » Et voici le diagnostic : « Je serais d'avis, pour y remédier, que tâchassiez à rapaiser , ou contenter, ces deux grandes filles qui eurent dernièrement le fouet, pour je ne sais quelques petites brouilleries et fassiez paraître, et à elles, et à leurs compagnes, et de paroles et de fait, que voulez désormais les traiter plus doucement, que leur donnassiez, tous les jours, quelques cerises qui ne sont pas chères ou autre pitance à leur goûter, et que, en toutes choses, vous missiez ordre qu'elles vivent joyeuses et bien contentes26. »

- Que les valeurs soient transmises dans le respect de la liberté de la personne :
« Les maîtresses se serviront de toutes sortes d'occasions pour exercer leurs écolières en toutes dévotions27, tantôt l'une, tantôt l'autre, selon les temps, les lieux et les personnes : mais toujours sans les violenter et sans les presser trop ou les ennuyer ou trop importuner, et fait à fait [à mesure] que ces petites apprentives seront prêtes à se mettre à l'ouvrage, elles les y instruiront et les assisteront, tant faire se pourra, comme pour les mener par la main , et les conduire à bien former leurs actions en cela, et pour les encourager, et pour aussi les redresser doucement, si d'aventure elles y faillaient par ignorance ou autrement, jusqu'à ce qu'elles soient parfaitement adroites.»



4 - Pour répondre à la vocation de chaque être humain

1 - Vocation humaine :

« Fais-le grandir » :
depuis plus de 400 ans, chaque soeur de Notre-Dame se reconnaît dans cette traduction familière d'une vision d'Alix Le Clerc :
« Notre-Dame se présenta à moi tenant son petit Fils, lequel elle me donna, disant que je le nourrisse jusqu'à ce qu'il serait grand. Ceci s'entendant : que je procurasse sa gloire29. »
« La Gloire de Dieu, c’est l’homme vivant » disait saint Irénée. Il s’agit donc d’aider l’enfant à grandir, à réaliser sa vocation d ’homme et de femme dans sa pleine dimension, humaine et spirituelle.
En effet, chaque être humain a une vocation propre : appel à se construire à partir du trésor qui est en lui et que constituent ses talents. Il y a en nous plus que nous-même, même si nous ne le savons pas encore, même si nous n’osons pas y croire : « Absolument aucune catégorie de gens ne doit désespérer de sa vocation » plaide Saint Augustin.

« Que faudra-t-il enseigner aux enfants? Que les riches (mais difficilement), les pauvres, les manouvriers, les gens de pratique, enfin, chacun selon son état, peuvent devenir des saints, en gardant parfaitement leurs règles, en la vocation où Dieu les a appelés 31».
D’où les conseils : « Les religieuses tâcheront de montrer à leurs petites écolières tout ce que l'on trouvera qui puisse s'apprendre et se pratiquer par des filles du monde pour s'exercer au saint amour de Dieu, et en la dilection sincère du prochain , et pour se gouverner saintement parmi les richesses et grandeurs de la terre, et dans la pauvreté et le mépris et la nécessité, et pour entendre [prêter attention] et pourvoir, autant qu'il se pourra, à ce qui touche à la vie présente (...) et à l'heureuse éternité.32 »
« Pourvoir à ce qui touche à la vie présente » : vaste programme qui suppose découverte et développement de soi et, de la part des enseignants, adaptation à chaque jeune et à ses conditions de vie.

2 - Vocation chrétienne :
Parce que Pierre Fourier ne conçoit l'éducation que dans une visée chrétienne, la formation à la vie de foi et aux comportements évangéliques tient une place primordiable dans son projet éducatif.

- Comment être chrétien, «pratiquement», sans que résonne pour chacun cette parole de Dieu au jour du baptême du Christ : «Celui-ci est mon fils bien-aimé» ?
Entendre à notre tour ce nom de fils/fille que Dieu nous donne et qu'il veut nous révéler encore. Apprendre à connaître la personne du Christ, « toutes ses actions et toutes ses paroles lorsqu ’il était visiblement conversant en ce monde », suivant la spiritualité des soeurs de Notre-Dame. Nourrir en nous cette relation par la médiation, la contemplation des gestes du Christ.

- Comment être chrétien, « pratiquement », sans être initié à la prière qui nous fait appeler Dieu « Père » ? Saint Augustin n ’hesite pas à identifier celle-ci au désir : « Ton désir, c ’est la prière, et si continuel est ce désir, continuelle est ta prière... Si tu ne veux pas cesser de prier, ne cesse pas de désirer. Ton désir est-il continuel ?Continuelle est ta voix. Tu ne te tairas que si tu cesses d ’aimer33. »

- Comment être chrétien, « pratiquement », si nous ne devenons pas disciple - à sa suite - et apôtre - envoyé par lui - pour faire Église avec d'autres ? Mettre nos pas dans les siens et prendre la main des autres pour que la Bonne Nouvelle soit partagée.

On les exercera « en la dilection du prochain34. » Saint Augustin précise : « Étends ton amour sur le monde entier si tu veux aimer le Christ, parce que les membres du Christ sont étendus sur la monde entier. »
« Elles prendront garde surtout qu'elles n'offensent ou méprisent aucune de leurs compagnes, pour petite ou pauvre qu'elle soit. Elles les aimeront toutes en Dieu, et les honoreront, et vivront toutes en bonne paix, sans rien faire ou dire qui puisse affliger ou contrister une seule d'entre elles, ce qu'elles apprendront d'observer aussi à l'endroit de toute autre personne. »

2 - Communauté chrétienne :
Dans l'esprit de Pierre Fourier, l'annonce de la foi est indissociable d’une communauté chrétienne visible, visitable : la foi n’est pas seulement dans les livres et les exposés mais chez des personnes qui en vivent. Elle requiert la même attitude éducative : pédagogie, attention, respect. « On les instruira doucement, et petit à petit, et selon les occurrences, et leur capacité, à se tenir toujours appareillées et promptes à faire pour le service de Dieu tout ce entièrement qu'il demandera d'elles. »
« Si quelque fille de cette religion prétendue38 s'y retrouve parmi les autres, traitez-la doucement et charitablement, ne permettez pas que les autres la molestent ou lui fassent quelque reproche ou fâcherie. Ne la sollicitez de quitter son erreur, et ne lui parlez directement contre sa religion. »
Le « pain éducatif » de la Congrégation Notre-Dame a été partagé à des générations de jeunes et d'adultes.

Chacun est invité à s’en nourrir encore pour « grandir ensemble »